Car oui, si le capitalisme a été si fort, les trente glorieuses, c'est parce qu'il y avait du travail et du capital à reconstitué...
A propos des 30 Glorieuses, j'ai écrit cet article en 1999 :
L'État-Providence : un sous-produit de la guerre froide ?
Ein Gespenst weht über Europa. Le communisme s'effondre, le libéralisme triompheLe communisme est mort, vive l'économie de marché ! Haro sur l'Etat, hypertrophié et inefficace ! Il faut en finir avec l'assistanat : les indemnités trop généreuses détournent les chômeurs du marché du travail, le SMIC empêche les moins qualifiés d'offrir leurs services. Il est urgent de briser les conventions collectives obsolètes et de mettre fin à un droit du travail hérité d'une époque définitivement révolue. Efficacité, flexibilité.
Ah le bon temps des trente glorieusesEt pourtant, il y eut un temps, pas si lointain, où l'on estimait nécessaire que les salariés voient leur pouvoir d'achat augmenter (ou du moins se maintenir), qu'ils bénéficient de la sécurité de l'emploi, qu'ils soient protégés contre les aléas de la vie. Et la classe ouvrière s'en fut au Paradis :
2CV et réfrigérateur, lave-linge et télévision. Tant de générosité ne peut que nous étonner aujourd'hui. Qu'est-ce qui a poussé les hommes de pouvoir (économique et politique) à partager à ce point avec les gens de peu ?
La peur. Comme au siècle dernier, quand on tremblait devant les "classes laborieuses, classes dangereuses". Au lendemain de la seconde guerre mondiale, la menace communiste est réelle. L'URSS est auréolée du prestige de la victoire de l'Armée Rouge sur les nazis, et l'on n'entend guère ceux qui dénoncent les exactions de Staline. En France, en Italie, les Communistes triomphent aux élections grâce aussi à leur passé de Résistants : 26% pour le PCF et 20% pour le PCI aux législatives de 1947 (24% pour la SFIO et 21% pour le PSI).
Le communisme séduit les intellectuels et l'expérience russe fascine. Le risque est grand de voir basculer les démocraties occidentales vers l'aventure collectiviste dans le secret des isoloirs. Et ce, dans le contexte d'un nouvel affrontement mondial : la Guerre Froide. L'URSS, devenue puissance nucléaire, défie ouvertement les Etats Unis.
Ceux-ci réagissent avec le "Plan Marshall"en injectant de l'argent dans l'économie pour ramener les pays meurtris par la guerre sur le droit chemin de la prospérité. Et on découvre les vertus de l'Etat-Providence, qui protège les faibles tout en les détournant des idées révolutionnaires, par la magie de la consommation de masse.
De Soljenistyne à ThatcherMais le vent de l'Histoire a tourné et le régime soviétique a peu à peu laisser voir son vrai visage." L'archipel du Goulag" d'Alexandre Soljenitsyne (1973-1976), "l'empire éclaté" d'Hélène Carrère d'Encausse (1978) mettent en évidence ses dysfonctionnements et sa tyrannie.
L'Union Soviétique ne fait plus rêver. Et peu à peu, l'Union Soviétique cesse de faire peur. Personne ne rêve encore de la fin du communisme, mais le bourbier afghan a montré que l'Armée Rouge n'était pas invincible. Les années 80 offrent le spectacle d'un inexorable déclin de l'empire soviétique, sur fond de crise politique et d'inefficacité économique.
A l'ouest, l'échec des politiques de relance des années 70, mais surtout la lassitude et la démobilisation des salariés confrontés au chômage de masse ont provoqué un renversement du rapport de force en faveur des détendeurs du capital. Avec Margaret Thatcher en Grande Bretagne (1979) et Ronald Reagan aux Etats Unis (1980) les idées ultra-libérales triomphent. Baisse des dépenses sociales et privatisations : c'est la mort de l'Etat-Providence.
Vae victisLe mur de Berlin est tombé, le spectre du communisme a cessé de hanter l'Europe. Les inégalités se creusent entre ceux qui travaillent (flexibles) et ceux qui suivent l'évolution du Dow Jones et du Nikkei.
"Parfois la Californie regrette la guerre froide" écrit Serge Halimi (Le Monde Diplomatique, janvier 1994).